Göreme
J’ai quitté Gaziantep un dimanche matin pour me diriger vers Göreme sur ma trajectoire en direction d’Istanbul.
Sophie, Angélique, Sabina, Ayshegul et d’autres amis de Turquie m’ont déjà parlé de l’endroit et fortement conseillé de m’y arrêter ne serait-ce qu’une matinée. Effectivement … Une matinée perdue dans les paysages splendides de la Capadoque vaut tous les trésors du monde … Ces maisons centenaires construites dans les roches, ces grottes et ces montagnes volcaniques m’ont fait tenir debout sur une autre planète, en quelque sorte perdu entre une scène de la guerre des étoiles et d’un film documentaire sur la conquête martienne.
Et les montgolfières volaient à l’aube … Comme d’habitude, après les premiers rayons verts, les ballons montaient et se perdaient dans le ciel tandis que moi, je me laissais errer dans les vieux villages rocheux.
Il semble que l’endroit ait été gelé dans le temps, piégé dans la roche comme une sculpture figée. Une pièce maîtresse de l’art de la terre … Une œuvre mixte de la nature et de l’humanité qui reste … Immobile, fragile et belle.
Istanbul
Je suis arrivé à la ville millénaire assez tard après un long trajet …
La ville et son agglomération doivent couvrir 20 km au moins et j’ai dû conduire pendant 2 heures avant d’atteindre enfin le centre-ville d’Istanbul. Lumières blafardes et flashs fluorescents, mosquées et bâtiments centenaires scotchés sur l’horizon sombre, créant un filigrane cubique dans le ciel … Comme une nouvelle voie lactée bruyante et criarde.
Une galaxie était installée ici pour faire briller et glorifier le monde musulman …
Tous ces monuments, mosquées, églises et châteaux se trouvent ici, dispersés dans la ville millénaire comme un rappel du passé. Une preuve de l’ancien passage de toutes les civilisations qui ont Regis la région à partir de ce point spécifique.
Et la ville est vieille … D’une certaine manière, j’ai ressenti moins de liberté que je l’ai vécue à Izmir où les autres villes plus “moderne” en Turquie et je comprends pourquoi Atatürk a changé de capitale officielle lorsqu’il est venu réorganiser le pays au XXe siècle: Istanbul est trop ancienne, la ville a un passé trop vaste et une histoire trop lourde qui l’empêche d’avancer efficacement.
C’est un peu comme si toutes les civilisations, souvenirs et traditions, s’étaient cristallisées sur chaque carré, chaque parc, chaque bâtiment et rue, et il serait fou de vouloir transformer ces vestiges encore une fois …
Et on peut sentir que l’esprit est différent des villes occidentales du pays … La religion est beaucoup plus impliquée dans tous les aspects de la vie quotidienne. Et la reconnaissance (différenciation) des étrangers sont de fait, plus palpable. Bien que je n’eusse pas été opprimé et que je pouvais parcourir la ville autant que je le voulais, je sentais le poids des regards sur moi ….
Kan, un bénévole d’Izmir m’a accueilli pendant un moment, il m’a montré les lieux et les organisations qui pourraient m’aider à propos de mon projet. J’ai été un peu surpris quand j’ai vu si peu d’accueil de leur côté, si peu de compréhension que les autres ONG ou groupes avec lesquels j’ai travaillé. Ils n’étaient pas grossiers ou quoique se soit, mais je ne les intéressais pas du tout et j’ai eu l’impression de perdre mon temps … Peut-être qu’ils étaient trop occupés à faire face aux réfugiés dans la ville … Peut-être qu’ils ont tout simplement trop de pression administrative ou que sais-je … Mon sentiment était juste un peu froid.
Pourtant, j’aimerais revenir là-bas pour aider et enseigner dans ces écoles pour réfugiés comme je le faisais à Gaziantep.
Bulgarie
J’ai traversé la frontière tôt le matin … Je ressentais une tension en Turquie… Ici aussi, mais pas la même … D’une façon ou d’une autre, rien ne s’est passé lorsque j’ai traversé la frontière. Je m’attendais à d’interminables problèmes comme d’habitude, mais rien … Je sentis l’indescriptible un peu après, alors que je traversais la campagne déserte près de la frontière … Les voitures de police patrouillant tranquillement, des clôtures dispersées ici et là mais pas de migrants … Personne …
J’ai senti le pouvoir muet de la désinformation et de la pression qui mentaient sur ces terres: c’était comme si rien ne se passait.
Absolument rien, comme si le gouvernement voulait que les gens pensent que rien ne se passait, mais je pouvais presque entendre les bottes craquer sur les branches dans les forêts … Je pouvais presque voir les abris cachés abandonnés où les migrants «illégaux» passaient quelques moments de soulagement avant de marcher à nouveau.
Restez silencieux … Continuez à marcher … Évitez la police… Continuez à bouger … Lentement, doucement ne pas être vu et attrapé.
J’ai parcouru le pays en passant par la ville d’Harmanli où l’un des seuls camps de réfugiés était censé être … Je cherchais … En vain … Encore rien … Ensuite, je suis allé à la capitale, Sofia, où je pensais trouver des informations sur la situation du pays.
Tzvetko, un coordinateur humanitaire dans le pays, m’accueillit chez lui, à son deuxième appartement qui lui servait de lieu de stockage pour ses dons.
Tzvetko était un homme occupé.
D’une façon ou d’une autre, il connaissait toute la situation des réfugiés dans le pays. Et il était clair que je ne pouvais rien faire pour aider (car je devais demander des autorisations aux autorités gouvernementales et passer au travers de trop nombreux processus douloureux et ennuyeux). Néanmoins, il m’a donné beaucoup d’informations pour que je puisse comprendre la situation dans la ville. Je suis allé à Ovcha Kupel et Neuva Rampa, deux endroits à Sofia, où les migrants ete tenus de rester, isolés, à la limite de l’emprisonnement, le temps pour le pays de comprendre ce qu’il fallait faire avec eux.
Ces «camps» qui ressemblent davantage à des prisons …
Les bâtiments s’effondraient, les structures étaient vieilles et rouillées, les fenêtres n’étaient plus … Et je n’étais pas surpris quand j’ai entendu que les lieux étaient plein à craquer … Au moins, semblait-il que les réfugiés étaient traités avec plus d’humanité, moins de colère qu’ils ne l’avaient été aux commissariats de police.
J’ai rencontré deux d’entre eux et nous avons discuté ensemble pendant un certain temps. Comme je m’en doutais, la plupart d’entre eux avaient été battus par les flics, poursuivis dans les forêts par des patrouilles, etc. Certains d’entre eux avaient été capturés par villageois et envoyés à la police après avoir été volés … J’ai même entendu parler de certains Bulgares lançant des safaris dans les forêts pour chasser les migrants … Le plus terrible était le fait qu’ils étaient fiers de leurs atrocités et publiaient des photos sur les réseaux sociaux, etc.
Et encore plus terrifiant … Il me semblait que les gens en étaient heureux et fiers …
Il était logique que tous les réfugiés à Sofia voulussent partir … Soit en Serbie, soit en Roumanie, soit en Turquie … N’importe où ailleurs que la Bulgarie.